Peaky Blinders (Saison 6), tout est dans la fin [Critique]

Les gangsters les plus classieux du petit écran britannique reviennent pour une sixième saison déchirante, replaçant la famille au centre de l’intrigue.
Tommy Shelby part pour l’Amérique du Nord, où la fin de la Prohibition en fait une terre fertile pour de nouvelles opportunités. Il doit y faire face à de nouveaux dangers, mais également à de vieilles rancœurs.
Dire que Peaky Blinders nous a laissé sur un cliffhanger cruel serait enjoliver la chose. C’est au bord du gouffre, un canon sur la tempe, émergeant d’une brume infestée de fantômes, que Thomas Shelby sillonnait un dernier plan tendu à souhait. Des sales coups, il en a surmonté des brouettes entières, mais le personnage le plus classieux de la télévision britannique semble depuis peu avoir atteint le stade de non-retour, sujet à de sévères crises paranoïaques quand ce ne sont pas ses frangins qui cherchent ouvertement à l’abattre pour lui soutirer son trône. Il est loin, le temps des bagarres de gitans dans les rues noircies de Birmingham – même si la série conserve ses tocs iconiques de mise en scène. Désormais, ce sont des guerres mafieuses internationales qui concernent notre chef de meute, et ses répliques cinglantes n’apaisent plus ses opposants, toujours plus influents. Dans ces tempêtes pourtant, impossible de ne pas déceler un jeu sadomasochiste qui pousserait le protagoniste à s’embourber délibérément dans les ténèbres jusqu’à ne plus pouvoir en sortir la tête. Une partie contre la faucheuse qui l’a poussé à s’introduire en politique tandis que le monde gronde sous les pas d’un fascisme grandissant, et qui l’a justement conduit à se coller une arme sur le crâne après l’échec de trop. Son affliction est telle que Peaky Blinders en a fait son sujet central, relayant l’ascension diabolique du gang à la casquette au second plan et se laissant le temps de dépecer la psyché agonique d’un Tommy que l’on retrouve la gueule dans la boue. La série le clarifie à haute voix, lors de cette sixième saison : s’il est parvenu à défaire des ennemis plus intimidants les uns que les autres, le pire d’entre eux se terre en lui – et ne peut être vaincu. Les derniers épisodes entérinent une chute que l’on ne pouvait que prévoir.
Avant d’abdiquer le format sériel – l’histoire des Shelby prendra fin en long-métrage –, le show retourne à l’essentiel. Ses décors patinés, ses cigarettes qui brûlent continûment, sa cinématographie tirée au cordeau, ses costumes trois pièces impeccables, et puis ses quais malfamés où nos bandits préférés déambulent lourdement, immortalisés par un ralenti sur fond de rock’n’roll. Peaky Blinders, c’est aussi la voix roque d’un Cillian Murphy habité, qui après neuf ans dans les pompes de son personnage, trouve encore le moyen d’affûter sa palette de jeu, de nuancer sa nature trouble, de spécifier physiquement ses failles. Pris dans le vortex historico-politique de l’entre-deux-guerres, à l’ombre d’enjeux qui le dépassent définitivement, le visage de Tommy réfléchit la tragédie et la mélancolie du Michael Corleone de Coppola, deux monstres-gangsters condamnés à l’implosion, à la solitude, dont les histoires se répondent à présent clairement. Mais ne mentionner que Murphy serait d’une injustice terrible. Ces six nouveaux épisodes mettent à l’honneur pléthore de seconds rôles vibrants, dames de fer, héritiers de dernière minute, veuves précoces et politicards véreux. La série n’a jamais exprimé le moindre mal à caractériser et donner du sens à sa (large) fourchette de protagonistes, et son casting à faire pâlir le tout-Hollywood ne fait qu’accorder crédit, épaisseur et piquant aux dialogues épineux qui strient une intrigue troquant son sensationnalisme contre une bonne ration d’introspection. Steven Knight parvient élégamment à impliquer ce qu’il reste de la troupe, notamment en traitant la prétendue malédiction de Tommy comme un virus se propageant chez ses pairs. Le showrunner nous rappelle ainsi, lors de ce dernier virage flamboyant, que Peaky Blinders n’a cessé d’être un drame familial, davantage qu’un polar ou qu’une fresque criminelle, et que la sève de sa fiction réside dans les liens difficiles qui unissent ces démons. Des hommes et femmes ambitieux, mais au cœur fendu. La série touche alors à une émotion précieuse, cristallisant la superbe de ses acteurs et certifiant, une fois encore, que Peaky Blinders est la meilleure chose arrivée au petit écran anglais depuis des lustres.