Les Éternels, Chloé Zhao et les super-humains [Critique]

Les studios Marvel accueillent une nouvelle équipe de super-héros sous la caméra de Chloé Zhao. La réalisatrice oscarisée se heurte aux impératifs de la saga mais ouvre des portes pertinentes.
Depuis les débuts de l’humanité, les Éternels, un groupe de héros venus de l’autre bout de l’univers, protègent la Terre. Lorsque les Déviants, des créatures dangereuses que l’on croyait disparues, réapparaissent, les Éternels sont obligés de se réunir.
On le sait : pour sa quatrième phase, celle de l’après-Avengers : Endgame, Marvel Studios cherche à urgemment diversifier son panel. Personnages inédits à l’écran, perspectives originales, nouveaux artisans pour mettre en branle les empoignades super-héroïques de demain. Chloé Zhao, celle qui fit ses preuves à mille lieues des gratte-ciel de Spider-Man, son lot d’Oscars sous le bras, s’est ainsi retrouvée dans les bureaux de Kevin Feige pour imaginer les directions de la franchise Avengers. Celles du futur, qui ne seront pas moins cosmiques et bigarrées que les précédentes, et celles du passé, bien avant que Tony Stark ne se retrouve coincée dans une grotte ou que Steve Rogers rejoigne les rangs de l’armée américaine. Les Éternels est pensé comme un voyage dans le temps, remontant aux origines du monde, plus loin que ne l’avait jamais été le Marvel Cinematic Universe. Un voyage qui couvre l’évolution de l’humanité à travers les âges, de Babylone aux panneaux publicitaires de Londres, de la domestication de la faune aux applications numériques. Ce circuit historique, segmenté en une pléiade de flashbacks, se vit au travers des yeux d’êtres immortels – les Éternels du titre –, des divinités venues de systèmes lointains veillant à ce que la Terre (et son espèce dominante) tourne dans le bon sens. Le regard compte pour Zhao, car si celui des surhommes est au préalable une fenêtre sur l’histoire de notre civilisation, il est également un indicateur quant à l’impact de cette dernière sur les dieux qui la surveillent. C’est ainsi que la réalisatrice de Nomadland convient d’évoquer l’humain, en jumelant sa croissance millénaire à l’émergence de sentiments dans le crâne d’extraterrestres providentiels. De facto, d’une rétrospective qui pousse à revoir la chronologie des événements aux appréhensions de protagonistes précisément définis, le blockbuster Marvel caresse un chapelet d’émotions inhabituelles, d’ordinaire prêtées à la concurrence quand il retourne du lien entre Dieu et l’homme – Zack Snyder doit sourire.
Outre les batailles entre Éternels et Déviants qui réconforteront ceux qui n’attendent que la bousculade, il est une qui hante le long-métrage : celle d’une réalisatrice aux prises avec un cahier des charges encombrant. C’est pourquoi, en dépit d’un naturalisme qui dépayse, le film s’accroche à la blague de trop, au vilain inconsistant (la franchise n’a pas fait plus mauvais), au montage expéditif, au dernier acte grisâtre et farci d’effets spéciaux assommants. Les Éternels souffre de la formule, et Chloé Zhao, bien plus attachée aux crépuscules sous courte focale qu’aux bombardements de plasma, se voit contrainte d’abréger ses ambitions, bouchant des thématiques jusqu’au non-sens. Le film s’équilibre de justesse par une photographie plus fouillée qu’à la normale, une esthétique sèche que la réalisatrice affectionne, de l’épique qui s’intègre correctement à la narration et une distribution qui ravira les fanatiques de Game of Thrones, Richard Madden et Kit Harington étant de la partie. Les deux expatriés de Westeros font équipe avec un casting hétérogène (Angelina Jolie, Gemma Chan, Kumail Nanjiani, etc.) où chacun saisit sa chance de rayonner, à la manière des Avengers. Et c’est ce qui fait irréfutablement la richesse, la fraîcheur, de ce vingt-sixième opus : sa galerie de protagonistes diversifiés, où chacun suit sa voie selon ses appétences, ses anxiétés, sa solitude pendant près de trois heures. Une famille avec ses dysfonctions, ses silences, ses élans d’amour, d’héroïsme, à qui Chloé Zhao donne vie miraculeusement. Ils ont de l’avenir, ces nouveaux héros.