Enola Holmes, Sherlock miniature et féministe [Critique]

Le plus grand détective de la littérature anglaise fait place à sa cadette dans la dernière grosse production Netflix. Une réunion familiale mouvementée et distrayante.
Sœur du célèbre Sherlock Holmes, Enola a toujours vécu avec sa mère, à qui elle accorde une admiration sans faille. Sa disparition soudaine pousse la jeune femme à quitter son foyer et se confronter au monde, où se révèlent ses talents et sa malice.
Ces dernières décennies l’ont indiqué : le personnage de Sir Arthur Conan Doyle n’a aucune peine à s’imposer sur le petit écran. Enquêteur singulier et maniaque, à qui le moindre détail révèle un cheminement complexe, Sherlock suscite, encore et toujours, une fascination palpable. Peut-on en dire autant du reste de sa famille ? Enola Holmes, adaptation d’une série littéraire à succès, apporte une réponse encourageante. Débrouillarde, futée et doucement naïve, la dernière-née du clan Holmes s’offre une belle escapade en pleine ère victorienne. La période a son importance, puisque c’est d’elle que le film tirera ses thématiques principales. Un temps où la femme se contentait d’une place minime, réduite aux convenances, soumise à une éducation rigide – sous peine d’être rejetée par la société. Une torture pour la jeune Enola, qui ne vise qu’émancipation et liberté. Son discours féministe se hurle à chaque scène, se répand en chaque recoin, se confronte aux passants, amplifié par les remarques continues de l’héroïne – qui brise le quatrième mur, peut-être trop. Son point de vue moderne sur l’égalité des sexes, anomalie de son époque et ressort humoristique efficace, en fait un personnage attachant et insolite, dans la droite lignée de ses parents. Le talent et la verve de Millie Bobby Brown, vedette de Stranger Things (aussi sur Netflix), n’y sont pas anodins.
Sherlock et Mycroft ne sont pas loin, prêts à vampiriser le long-métrage, respectivement interprétés par Henry Cavill (The Witcher) et Sam Claflin (Peaky Blinders). Mais Enola Holmes est indéniablement le récit de son protagoniste éponyme, celui d’une femme en construction, et il n’appartient à nul autre. Si les apparitions de Cavill réjouissent – un spin-off sur son Sherlock ne serait pas de refus –, elles se limitent à de brèves scènes (les meilleures, en toute objectivité), savoureuses puisqu’elles servent autant le mythe du mystérieux et implacable détective londonien que le développement de sa benjamine. Son tempérament impétueux déteint sur l’aventure, régie en chapitres distincts et fouillis, et dont l’enjeu se perd parfois dans le flot d’informations, de lieux et de tons. La schizophrénie scénaristique se compense par une reconstitution crédible du Londres d’antan, costumé et grisâtre, et par la technique fluide de Harry Bradbeer (il signe son premier film) qui, malgré l’absence d’audace, retranscrit les séquences enflammées avec lisibilité. Les cabrioles désespérées d’Enola se laissent ainsi apprécier.
Présentée sous un jour nouveau, la famille Holmes pourrait faire les joies de Netflix (et la nôtre) – la plateforme aurait facile d’élargir la licence, sous un format ou un autre. Il semble néanmoins impératif de recroiser ce Sherlock bodybuildé, dont les aptitudes sont furtivement esquissées, façon Ritchie.