Le Gang Kelly, western sauvage et halluciné [Critique]

Passé les templiers du monde vidéo-ludique, Justin Kurzel aborde la figure australienne Ned Kelly dans une œuvre rudement habitée.
Dans l’Australie du XIXe siècle, Ned Kelly est autant admiré que craint. Hors-la-lui fuyant les autorités, il est un criminel pour certains, un héros révolutionnaire pour d’autres. Entre ses attaques meurtrières, il prend le temps de rédiger ses mémoires, faisant le point sur sa vie et ses souvenirs.
La dernière apparition de Ned Kelly à l’écran remonte au biopic éponyme signé Gregor Jordan, dans lequel Heath Ledger – avant de jouer les clowns anarchiques chez Nolan – donnait de la voix au rebelle australien. Revenu de sa fastidieuse adaptation du jeu vidéo Assassin’s Creed, qui laissait songeur quant à ses compétences derrière la caméra, Justin Kurzel s’accapare la vie désordonnée du bandit avec Le Gang Kelly (de son vrai nom True History of the Kelly Gang), son quatrième long-métrage et adaptation du roman de Peter Carrey. Le cinéaste, de retour à sa terre natale, y déterre l’existence du brigand jusqu’à mettre en joue ses racines noueuses et convient d’un angle pertinent. Si certains tendent à restituer le portrait d’un courageux Robin des Bois faisant face à l’envahisseur anglais, Kurzel pointe ses objectifs sur le parcours intérieur de son protagoniste. Ce ne sont pas les activités illicites du gang qui intéressent ici le metteur en scène, décidé à contrebalancer l’aura de son sujet par une démarche neuve, mais l’exploitation d’une vie intime turbulente et toxique, cause du vacillement.
Planté dans une Australie décharnée, que l’on croirait victime de l’apocalypse, le récit est celui d’un passage adulte irrigué par une violence sèche et fatidique. Conditionné dès son plus jeune âge par une mère dominatrice, Kelly traverse les intempéries qui amèneront sa reconversion meurtrière, passant du garçon vendu pour une bouchée de pain au meneur d’hommes bouillonnant, dans un flot de séquences oscillant entre contemplation et brutalité accrue. Sur le plan technique, Kurzel ne ferme pas la porte à une imagerie métaphorique et flirte avec le cauchemar épileptique lors de son grand final – clip hallucinant et halluciné, soutenu par le changement discret de format. La forme naturaliste collée à son western serait facilement comparable aux travaux de Malick et Iñárritu, la fluidité en moins, quand le réalisateur brandit ses courtes focales et touche aux corps travestis. Celui-ci confie le rôle-titre à l’étoile montante George MacKay, aperçu récemment dans l’étourdissant 1917 de Sam Mendes. Nul doute que l’acteur britannique est habité par son personnage, prêtant son corps à une interprétation solide et in fine poignante. Le reste de la bande n’a pas à rougir, puisque le long-métrage fait se succéder Charlie Hunnam (The Gentlemen), Russell Crowe (Gladiator), Nicholas Hoult (la saga X-Men) et Thomasin McKenzie (Jojo Rabbit) dans les chaumières désolées, où chacun trouve aisément sa place.
Manifestement plus à l’aise lorsqu’il s’agit de reporter une chronique acerbe et psychédélique, Justin Kurzel compose une œuvre étrange aux quelques accents punks, peut-être sa plus notable à ce jour. Faute d’une digne sortie en salles, le film sort directement en DVD et Blu-Ray par chez nous.