The Mandalorian (Saison 1), la face obscure de Star Wars [Critique]

The Clone Wars, plus récemment Rebels : Star Wars n’en est pas à son coup d’essai à la télévision. Jusqu’ici, la licence s’était cantonnée à l’animation et au format court, calibré pour séduire les jeunes fans de Dark Vador. Et voilà que Disney se lance dans la guerre du streaming avec sous le coude un nouveau programme tiré de La Guerre des étoiles : The Mandalorian.
Après la chute de l’Empire et la fondation d’une nouvelle République, un chasseur de primes Mandalorien est chargé de ramener un enfant à ses commanditaires. Pris d’affection pour sa cible, le chasseur va devenir lui-même l’objet d’une traque galactique.
Oubliez les aventures manichéennes et mythologiques de Luke Skywalker. The Mandalorian s’attaque à un versant inédit de l’univers Star Wars. Les bas-fonds, recoins les plus reculés et malfamés : voilà le cadre de cette série réalisée comme un pur western se déroulant, dans une galaxie lointaine, très lointaine. Cette histoire est celle d’un homme qui côtoie le crime et opère pour ceux qui en sont les rois. L’on se souvient de Solo : A Star Wars Story, le spin-off consacré au contrebandier éponyme, qui effleurait bon nombre de styles cinématographiques, timidement. Tout le contraire du programme dirigé par Jon Favreau (collaborateur de longue date ayant planché sur les remakes du Livre de la Jungle et du Roi Lion), qui plonge avec entrain dans l’atmosphère westernienne de la trilogie originale. Duels aux pistolets, captures périlleuses, évasion d’une prison spatiale : les récurrences du genre font les péripéties de la série produite par Disney+. Des rebondissement au service d’une trame générale visant à présenter ce qui a toujours servi de détails à la saga, des créatures sordides et sanguinaires aux chasseurs de primes, fréquemment relégués au rang de figurant dans les films de George Lucas. À l’écriture, Favreau autopsie ses protagonistes, figures à la moralité potentiellement douteuse, adeptes de bagarres et manipulations.
Casque métallique, démarche lourde, allure robotique : le Mandalorien (interprété par Pedro Pascal) semble s’être affranchi de son humanité. Pourtant, l’homme sous le masque constitue l’un des sujets fondamentaux de la série. Dépeint comme un guerrier féroce, le héros se définit au fil des quêtes et périples, au travers de ses interactions et échanges parfois nerveux. Respectueux des valeurs de son peuple, conscient des ténèbres qui rongent la galaxie, le chasseur de primes sort de l’ombre pour embrasser la paix, un désir exprimé par sa relation avec l’Enfant – cible qu’il décide de protéger, en dépit de sa vie. Son sens du devoir en fait un personnage attachant, rugueux mais néanmoins fascinant, puisque Jon Favreau se sert du mystère pour embellir son protagoniste, masquant son passé tout autant que son visage. Une formule identique à celle qui fut appliquée au célèbre Dark Vador, fut un temps.

Présenté sous un format de huit épisodes, The Mandalorian manifeste rapidement sa grande faiblesse : la segmentation de son intrigue. Car si le show assume ses influences et son ton, il tâtonne et prend son temps avant de trouver sa voie, son propos. Passé son introduction musclée, la série expose des récits déconnecté, pour ne pas dire anthologiques, qui confrontent le chasseur à des lieux, peuples et coutumes originaux. S’il est difficile de bouder son plaisir devant la (re)découverte et l’émerveillement occasionnés, l’histoire fait s’interroger sur sa direction à plus d’une reprise, un scénario ne dépassant que rarement les quarante minutes. Village isolé à secourir façon Les Sept Samouraïs ou individu à traquer, les quêtes s’ouvrent aussi rapidement qu’elles se concluent, ne laissant que peu de temps au développement – ce qui favorise fortement l’apparition de facilités scénaristiques. Heureusement, ces escales prennent un sens quand sonne le final, lorsque les routes se fondent et que les forces se joignent. L’ultime combat, diablement spectaculaire, laisse à penser que The Mandalorian disposera à l’avenir d’un fil rouge tangible, comblant ainsi ses failles dans la prochaine saison.
Rogue One et Solo, non exempts de défauts mais pertinents, remplissaient (à des degrés différents) leur fonction de dérivés : repousser les limites d’un monde déjà défini, apportant suffisamment de fraîcheur pour justifier leur existence. Un domaine dans lequel la série de Jon Favreau excelle. The Mandalorian ne fait pas dans le simple hommage, mais dans la vénération du Star Wars de l’ombre, respectueux des heures originelles, celles qui foisonnaient de monstres, de figurants aux mines sinistres, et qui prenaient place dans le désert aride de Tatooine. Les références servent de contexte et d’enjeux. Dans ce théâtre, emprunt d’une certaine nostalgie, Favreau apporte son lot de nouveauté, se basant sur des éléments phares de la licence, en proposant une approche neuve. L’exemple le plus parlant reste l’Enfant, aux traits familiers. Un alien qui coche de nombreuses cases : créature mystérieuse, mascotte assurée et protagoniste à part entière. Le petit compagnon du Mandalorien – et ce qui en découle – synthétise le culte que voue le programme à la saga dont il est tiré.
Le showrunner s’est vu confier un budget de 100 millions de dollars, un montant pharaonique, supérieur à celui de la huitième saison de Game of Thrones. Disney n’a donc pas lésiné sur les moyens, preuve que la firme aux grandes oreilles prend les choses avec beaucoup de sérieux. Pouvant sans conteste rivaliser avec les mastodontes de la télévision, The Mandalorian affiche une technique irréprochable, dignes des meilleurs blockbusters de son époque. Dès son ouverture, la série affirme son identité, ses codes esthétiques, qui la définissent singulièrement. Et ce, malgré le nombre conséquent de réalisateurs qui se succèdent derrière la caméra, de Deborah Chow à Taika Waititi, en passant par Dave Filoni (créateur de The Clone Wars et Rebels). Les inspirations se devinent aisément. Images crépusculaires, plans (très) larges, teintes sableuses : comme si la légende Eastwood baignait dans un univers de fantasy. Sur le plan musical, Star Wars délaisse les fanfares de John Williams pour les partitions de Ludwig Göransson. Tribales, entraînantes – rappelant son travail sur Black Panther – les sonorités du compositeur suédois se mêlent avec brio à l’action, sublimant un splendide travail d’ambiance.
Certes, la construction de son intrigue est hasardeuse, comme si Favreau n’avait su comment propulser son aventure. Mais dans sa maladresse, la série a su placer ingénieusement ses pions, flirtant avec la nostalgie plus subtilement que Le Réveil de la Force et explorant les dessous d’un univers existant depuis 1977. Alors, l’avenir de Star Wars pourrait se jouer à la télévision. Il semblerait que Disney ait décidé de s’implanter massivement sur ce terrain, face à Netflix, HBO et tant d’autres à venir. Obi-Wan Kenobi et Cassian Andor rejoindront bientôt le Mandalorien sur Disney+, avant son retour annoncé pour l’automne 2020.