Le Roi, sacre de Timothée Chalamet [Critique]

Tels Alfonso Cuarón, les frères Coen et bientôt Martin Scorsese (et son très attendu The Irishman), David Michôd ose l’expérience Netflix. Ayant déjà gratifié la plateforme d’une première réalisation, le cinéaste s’attaque aux œuvres de Shakespeare avec Le Roi, porteur d’un casting d’exception et d’une promesse : garantir du grand spectacle sur le petit écran.
Henry « Hal » V, prince d’Angleterre, s’est détourné du pouvoir pour vivre librement, près du peuple. Mais à la mort de son père, dont le règne a profondément divisé le royaume, le jeune homme n’a d’autre choix que d’accepter sa destinée et d’être couronné. Il va devoir faire face au désordre qui anime le pays et les nombreuses manigances qui se trament autour de lui.
Netflix n’en est pas à son coup d’essai avec les fresques historiques. En 2018, David Mackenzie proposait Outlaw King, l’histoire de Robert de Brus, premier roi d’Écosse. L’idée, au-delà d’assurer le divertissement, était d’offrir aux spectateurs une aventure épique, digne des grosses productions qui arpentent les salles de cinéma. L’auteur de The Rover se prête à cet exercice risqué, non sans être inspiré. Le Roi a tout d’une grande œuvre, l’intensité des classiques du genre et l’imagerie soignée à laquelle Michôd nous a habitué. Un drame fantastique, brutal et poignant, qui confirme le don du metteur en scène pour conter la violence de l’homme.
La production Netflix s’arme d’une galerie de comédiens expérimentés, véritable argument marketing dont a usé la plateforme de streaming pour vendre le blockbuster. En chef de file, Timothée Chalamet, jeune prodige qui n’en finit pas d’impressionner, tant dans le choix de ses rôles que dans la qualité de ses performances. Il campe ici un souverain malgré-lui, son personnage ayant tourné le dos à la couronne et surtout à son parent tyrannique. L’acteur s’empare de la fragilité de son personnage, encore jeune et animé par sa volonté d’unifier le peuple. Il joue de son charisme, de sa prestance à l’écran, pour que son roi ne manque de crédibilité, une thématique qui couvre tout un pan du film. Le Roi évoque la gouvernance précoce, l’innocence dans un monde de barbarie, et finalement, une forme de passage à l’âge adulte, de maturité, au travers de la guerre et de l’appétit de l’homme pour le sang. Habitué à baigner dans l’alcool et les femmes, Hal se retrouve face aux trahisons, à la vanité commune de ses partisans. Le contexte historique tient une position marquée dans le récit, confiant à l’intrigue des enjeux démesurés, davantage de poids sur les épaules d’un garçon couronné. Au milieu des fracas, du fer qui se croise, le nouveau roi est un symbole d’humanité, de paix, qui se verra corrompre par le pouvoir, le sang et la boue. Un thème shakespearien, par évidence.

Après avoir épaulé Justin Kurzel (Macbeth, Assassin’s Creed), Adam Arkapaw prête son talent de composition à David Michôd, pour une seconde collaboration. Outre un travail saisissant de reconstitution, c’est la gestion de la lumière et des éclairages qui capte singulièrement l’attention, à la vue des tableaux dressés par Arkapaw. Le directeur de la photographie conçoit des plans au contraste marqué, fragmenté entre l’obscurité et l’austérité des intérieurs et le soleil pâle des extérieurs, écrasant les plaines d’Angleterre. Les images se veulent tangibles, comme si l’atmosphère devait transcender l’écran et s’étendre jusqu’au public. Il y a de quoi être aveuglé par les faisceaux de lumières qui émanent des fenêtres, autant que l’on se sent noyé sur le champ de bataille, les pieds dans une boue épaisse. David Michôd laisse reposer ses cadres, comme en témoigne le plan-séquence qui sert d’ouverture à son film. L’ambiance se façonne via ce rythme parfois lent, une cadence qui tend à la contemplation. Néanmoins, le metteur en scène ne néglige pas l’action et la violence de son œuvre. La bataille d’Azincourt, chapitre essentiel au long-métrage, pourrait rappeler l’illustre Bataille des Bâtards de la série Game of Thrones dans son approche sombre et réaliste. Le conflit s’abstient de surenchère et d’artifices, favorisant la proximité des combattants en armure et le choc des lames. Un affrontement mémorable, enrichi par les thèmes musicaux de Nicholas Britell (Twelve Years a Slave, Moonlight).
Si son personnage connaît la solitude au fil du récit, son interprète est loin de souffrir des mêmes tourments. Timothée Chalamet se voit ainsi accompagné de Joel Edgerton (également scénariste du film), aux faux airs de Russell Crowe période Gladiator. Chevalier renommé et adepte de bons vins, John Falstaff est un allié précieux pour Hal, un protagoniste dans lequel Edgerton insuffle une bonne dose d’empathie, sous son aspect rustre. Sean Harris, Lily-Rose Depp et Ben Mendelson (dont les noms suffisent à appâter) constituent le reste du casting, dans des registres différents et plus timides. Toutefois, aucune performance n’égale, en matière d’étrangeté, celle de Robert Pattinson. Le futur interprète de The Batman incarne ici Louis de Guyenne, antagoniste principal du blockbuster. Si décalé qu’il en devient effrayant, le prince français a pour lui le charisme de son acteur et une gestuelle particulière. Pattinson a confié, à l’instar de Lily-Rose Depp, vouloir jouer une princesse. Il peut prétendre avoir réussi.
Le générique venu, difficile de ne pas penser à l’expérience de la salle qui, à coup sûr, aurait pu embellir ce spectacle grandiose. Netflix a réussi son pari en engageant des techniciens compétents, emplissant son catalogue de longs-métrages convaincants sur la durée. Le Roi a tout du divertissement historique de cette fin d’année 2019, indicateur du pouvoir concurrentiel de la plateforme. Le géant américain, prochainement rejoint par Disney sur le terrain du streaming, n’a pas fini d’accueillir de grands noms et il ne serait pas surprenant de voir des monstres sacrés se laisser séduire, à la suite de Martin Scorsese.