Le Mans 66, les fous du volant [Critique]

Deux ans après Logan, James Mangold reprend du service avec Le Mans 66, biopic à la gloire des artistes et restituant une rivalité automobile devenue historique.
Entretenant une opposition tenace, Ford a pour objectif de supplanter son concurrent Ferrari. Pour se faire, l’entreprise engage Carroll Shelby afin de construire une voiture capable de gagner la course renommée des 24h du Mans.
Résumer le film à son titre original, Ford v. Ferrari, serait une erreur. Certes, Le Mans 66 met en relief la concurrence ardue entre le constructeur américain et son concurrent italien. Mais il est évident qu’il s’agit d’un prétexte, un point de départ pour alimenter un propos sur la création et son heurt, quasi-fatidique, à une industrie envahissante. James Mangold croque le portrait de passionnés, de personnages habités, d’hommes qui vivent et s’abandonnent à la création. Carroll Shelby et Ken Miles sont des pilotes talentueux, vouant leur vie à un sport, aux machines qui effritent le bitume, sous le joug d’une firme qui privilégie l’économie à la performance. Ainsi, la plus grande course n’a pas lieu sur la piste mais dans les têtes, où les mentalités et buts divergent. Ferrari en devient même secondaire, tant le conflit est interne à Ford. Écrasé par les hautes instances de l’entreprise, les concepteurs se battent pour leur art. La dimension politique prend le pas, Mangold dénonçant tout un système basé sur la publicité et le marketing, au détriment de ceux qui assemblent et conçoivent. Le réalisateur semble d’ailleurs dresser un parallèle méta avec l’industrie hollywoodienne et son emprise vénéneuse sur les auteurs.
Côté narration, Le Mans 66 se veut académique. Mangold ne s’encombre pas de superflu et accélère quand il juge cela nécessaire. Si des phases d’émotion et d’humour (bienvenues) apparaissent de temps à autre, c’est bien le dynamisme et la violence des courses automobiles qui font le cœur du long-métrage. Des essais pendant la conception jusqu’aux routes du Mans, le metteur en scène prône le réalisme dans sa façon d’aborder l’action. Le danger est de tous les instants dans ce sport qui peut radicalement changer les destins. Chaque choc, chaque vibration, est retranscrit à l’écran grâce à un découpage efficace, rendant la moindre scène de course saisissante. La réalisation ne s’autorise aucune fulgurance, malheureusement, même si quelques images s’avèrent plaisantes (notamment les travellings surplombant les véhicules élancés).

Le film conte également l’histoire d’une amitié entre deux êtres cabossés. D’un côté, Shelby, ancien pilote malade. De l’autre, Miles, coureur prodigieux et décalé, voire sombrement antipathique. La relation entre les deux hommes, mouvementée et touchante, est au premier plan, sublimée par l’interprétation juste de Matt Damon et Christian Bale. James Mangold romance cette histoire vraie pour en faire une aventure séduisante, mais il s’abstient de faire de ses protagonistes de purs héros. Avalés par leurs professions, les personnages n’affichent aucune vie privée. À l’exception du rôle de Bale, à qui l’on attribue un quotidien familial qui n’a pour seul fonction d’émouvoir, les figures qui jalonnent Le Mans 66 sont caractérisées par leur travail. Cela s’inscrit dans une volonté de retranscrire l’époque, une intention perceptible dans le traitement des personnages féminins, tout simplement absents du long-métrage. Seule la femme de Miles bénéficie de courtes scènes pour s’exprimer.
D’une durée de deux heures et demi, Le Mans 66 suit un rythme entraînant, sans excès, ponctué par les compositions musicales de Marco Beltrami (Logan, Gemini Man). Alternant les échanges verbaux, parfois musclés, et les dérapages sur la piste, le long-métrage trouve sa voie. L’on pourrait lui reprocher son classicisme, bousculé par de rares scènes particulièrement inspirées, qui empêchent le film d’être une grande œuvre, bien qu’il soit bâti pour les Oscars. Après tout, l’intention du cinéaste est limpide : rendre hommage à cette histoire, à ces deux hommes, à la performance et à l’art. Ni plus, ni moins. Avec sa onzième réalisation, James Mangold revient à un cinéma plus classique, plus convenu, mais aussi plus noble. La page X-Men semble tournée pour de bon, bien que l’on retrouve l’agressivité propre à Wolverine dans la manière avec laquelle le metteur en scène capte la course et ses rebondissements. Finalement, et malgré le divertissement de cette dernière, l’on retiendra principalement le propos éloquent sur l’art et son opposé financier. Un discours d’autant plus pertinent qu’il est plus que jamais approprié.