Peaky Blinders (Saison 5), déferlement de violence [Critique]

Les Peaky Blinders sont de retour. Après une quatrième saison qui, sans être honteuse, s’était avérée décevante, la famille la plus connue de Birmingham revient pour de nouvelles affaires, à présent que Thomas Shelby, charismatique protagoniste, s’implique en politique. Une salve d’épisodes aidée par le contexte historique qui l’entoure.
L’intrigue s’amorce en 1929, date du krach boursier le plus célèbre de l’Histoire. Et comme si les malheurs ne pleuvaient pas suffisamment, les Shelby (et l’Angleterre) doivent faire face à une menace sans précédent, celle d’un mouvement politique qui fera des ravages durant les années à venir. Les Peaky Blinders, plus influents que jamais mais au cœur de toutes les guerres, vont devoir redoubler d’efforts pour ne pas sombrer.
Chaque saison de Peaky Blinders a pour elle une identité propre, ce qui, sans nuire à une quelconque cohérence, amenait une teinte unique à l’histoire de Steven Knight. Seule la précédente faisait défaut, comme un pas régressif, malgré un casting compétent (Adrien Brody, tout de même) et un capital action au summum. Ces six nouveaux épisodes remettent le show sur des rails solides, saisissant l’ampleur des événements historiques qui servent de toile de fond au récit et préférant la psychologie aux muscles. Un déferlement de violence et de maîtrise technique savoureux, minutieusement arrangé et dont les failles sont indécelables.
Si l’on devait citer une saison comparable à celle que vient de livrer la chaîne anglaise BBC, la troisième serait assurément le bon choix. Des épisodes plus intimes, légèrement déstabilisant, tout en étant essentiel au développement des protagonistes, à commencer par Tommy Shelby. La saison 5 reprend le postulat d’aborder le personnage principal et ses démons, de les placer sur le devant de la scène et d’en tirer le meilleur. L’ancien soldat, tourmenté par ses faits d’armes en France et les nombreuses pertes qu’il a enduré, n’a jamais été aussi meurtri, au point qu’il s’enferme volontairement dans une voie destructrice, à base d’alcool et de drogues. Celui-ci souffre de visions durant lesquelles ses voix intérieures prennent une forme symbolique : celle de sa défunte épouse, Grace. Ce fantôme vient le hanter, le poussant à des envies suicidaires acerbes. Voilà l’une des facettes du protagoniste, le côté sombre de la pièce. L’autre, plus clair et noble, se synthétise en son parcours politique, certes jonché de crimes et manigances, alimenté par des intentions louables. Protéger sa famille (et sa ville) reste un objectif primordial aux yeux de Thomas, qui voit son pays infecté par le fascisme grandissant, symbolisé par la personne d’Oswald Mosley. La cinquième saison joue de la frontière entre ces deux aspects du personnage central : les guerres de l’esprit et le combat pour ses proches. Une opposition qui fut toujours présentée par le show, mais rarement élevée à un tel degré. Le chef de famille flotte entre les extrêmes : la dévotion et l’abandon. Une introspection qui a de quoi étouffer le spectateur.

L’atmosphère anxiogène fait partie intégrante de la saison, et elle se manifeste naturellement par les crises de Tommy, qui semble finalement avoir trouvé un ennemi qu’il ne peut vaincre. Cet opposant, bien que représenté par un homme, est en réalité une ombre, dont l’emprise sur l’Angleterre et l’Europe amplifie rapidement, suite aux mouvements respectifs d’Hitler et Mussolini. Face à ce tournant historique (et dramatique), le sentiment d’impuissance est palpable, le public étant conscient des tragédies à venir. Le parti-pris réaliste de Knight contraint toutes bonnes issues à se dissiper, et il devient alors difficile d’imaginer les Shelby remporter un tel affrontement. Serait-ce donc la chute, pour le gang familial ? Sa tête pensante étant torturée, un futur paisible paraît compromis. D’autant plus quand les autres membres s’égratignent, eux aussi (le couple d’Arthur bat de l’aile, Michael et son ambition grandissante, Finn et son instabilité, etc). La sensation de paranoïa n’en est que renforcée lorsque les craintes de Tommy se concrétisent : son trône est désiré, et ceux qui s’y verraient bien siéger pourraient être des alliés très proches. La méfiance est alors de mise, alimentant un climat oppressant. Tout pousse le leader des Peaky Blinders à s’isoler et embrasser la solitude à laquelle il est probablement destiné.
La réalisation de la cinquième saison revient à Anthony Byrne, cinéaste ayant officié pour la série The Last Kingdom. Sur le plan esthétique, Peaky Blinders n’a cessé d’impressionner, avec un travail particulier de l’image, au point que le show anglais soit identifiable au moindre coup d’œil. Byrne respecte scrupuleusement l’atmosphère visuelle de la série, tout en adaptant sa mise en scène aux nouveaux enjeux. Capter l’enfermement de Thomas Shelby ou une communauté révoltée sont aisément à sa portée, et les épisodes se voient gratifiés d’une imagerie frappante. À titre d’exemple, ces plans présentant le protagoniste avancer dans un champ boueux, à travers une brume épaisse, impriment la rétine instantanément. Un gimmick de réalisation apparaît à de nombreuses reprises, parmi les ralentis et les mouvements saccadés : le travelling compensé. Comme si Byrne venait de recevoir une leçon d’Hitchcock (inventeur du geste), ce dernier s’en donne à cœur joie, sans que cela ne vire à l’overdose. Le trait est justifié, parfaitement exécuté. L’ensemble, comme à l’accoutumé, est servi avec des sonorités rock et agressives, un agrément musical qui correspond aux agissements du gang et au style qui s’en dégage.
Impossible de ne pas évoquer le casting phénoménal lorsque l’on pense au show. La tête d’affiche, transpirant de charisme et de talent, fait un porte-étendard idéal. Cillian Murphy campe, en effet, à merveille ce leader harassé, un rôle qui lui colle désormais à la peau. L’acteur a confié avoir préféré cette saison aux précédentes, et l’on comprend pourquoi : son personnage se rapproche dangereusement d’une forme de schizophrénie, dans un tourbillon destructeur, ce qui donne matière au comédien. À ses côtés, Paul Anderson et Helen McCrory (Arthur Shelby et Polly Gray) maintiennent le cap, discrètement mais sûrement. Parmi les nouvelles recrues, Sam Claflin (Pirates des Caraïbes, Hunger Games), en antagoniste éloquent, se fait une place remarquée. Il en est de même pour Anya Taylor-Joy (The Witch, Split), dont le personnage ne demande qu’à s’imposer davantage.
Au terme de trente épisodes, Steven Knight peut être fier de lui : voilà cinq saisons que son programme existe et aligne de franches prouesses. Le créateur de la série travaille déjà sur une sixième saison, qui irait de paire avec la dernière en date, ainsi que sur un septième et ultime chapitre. D’ici-là, gageons que Peaky Blinders ait des horizons alléchants, contrairement à son illustre protagoniste.