Reminiscence, comble de l’oubli [Critique]

La créatrice de Westworld passe au format long avec un thriller futuriste. Le film se désintéresse malheureusement de son concept en cours de route.
Dans un futur proche, l’enquêteur privé Nicolas Bannister propose à ses clients de replonger dans les souvenirs de leur choix. Sa rencontre avec Mae, l’une de ses clientes, et sa disparition soudaine vont faire basculer sa vie et le confronter à des souvenirs qu’il ignorait.
Ses débuts de scénariste, elle les a fait avec la coquette série Pushing Daisies. C’était il y a quinze ans. De nos jours, Lisa Joy tient la barre de l’intimidante et cryptique Westworld aux côtés de son associé et mari Jonathan Nolan (frère de Christopher), arrangement faisant la fierté de la chaîne américaine HBO. Reconnue, à raison, comme l’une des auteures les plus scrupuleuses et engageantes de son temps, son saut du petit au grand écran était attendu mais prévisible : elle est de ceux qui participent activement à l’abrogation de la frontière entre le medium télévisuel et cinématographique. Reminiscence, son premier long-métrage aux accents écolo-futuristes, ne lui fait que peu quitter sa zone de confort. L’on y déniche ses thèmes fétiches, servis par la même narration entortillée et trompeuse, sa colorimétrie ocre et contrastée, une paire de visages connus, une filiation criante avec les casse-têtes labellisés Nolan. Joy y fouille toujours les méandres de l’inconscient, cette fois en employant un concept défini – une technologie pouvant recréer les souvenirs avant de les servir sur un plateau – et non plus la confusion générale, et singe le film noir en bordant la trame d’une voix-off et archétypes annexes, femme fatale, détective et machinations. C’est sous cet aspect que Reminiscence se montre le plus malin, le plus aguichant, quand il croise suspens et romantisme vieillot, puis fait cavaler Hugh Jackman dans un monde enseveli (littéralement) par les marées du pessimisme. Mais le long-métrage n’est pas que mystères et grabuges des bas-fonds, impeccablement réalisé : il cherche à s’affirmer en tant que divertissement carabiné, quitte à abattre son élégante mise en place.
Dès lors, le thriller de science-fiction se munit d’une action commune au marché hollywoodien, filmée sans panache ni envie sur une bande-originale délavée, terminant sa course dans le même sac qu’un Taken, le discours anti-nostalgique en supplément. On en oublie son principe original, le florilège de promesses qui l’escortait, dont Lisa Joy ne tire profit qu’à moitié et sur lequel le film aurait pu (et devait) intégralement se baser. La réalisatrice veille cependant à la forme de son œuvre et peut (au moins) se vanter d’avoir lustré ses plans. Reminiscence porte un habillage chic, souvent peu subtil d’un point de vue symbolique mais constamment agréable à l’œil grâce aux qualités du directeur de la photographie Paul Cameron (présent sur le pilote de Westworld), esthète loué pour sa participation au Collatéral de Michael Mann. La distribution s’y prête, Jackman le premier. Dans son uniforme de patron à la belle gueule, de gentleman à boxeur du dimanche, l’interprète de Logan étale son charisme australien sur les berges d’une Miami engloutie. Il croit fermement en son personnage, en la surtension sentimentale qui l’anime, lui et son investigation. Rebecca Ferguson et Thandie Newton, actrices confirmées dans ce registre, ne déméritent pas et sont atouts, certes discrets, de ce simili-Inception qui ne devrait pas laisser un souvenir impérissable. Un comble.