L’Attaque des Titans (Saison 4 – Première Partie), une réussite colossale [Critique]

L’Attaque des Titans pulvérise nos repères avec une aisance considérable, affirmant son sadisme et sa grandeur d’écriture. La quatrième saison est une monumentale et déstabilisante réussite.
Quatre ans après son départ de l’île Paradis, Reiner s’implique dans l’apprentissage des futurs réceptacles des Titans Primordiaux. Mais son passé le hante et la menace d’une vengeance d’Eren et de ses camarades plane.
Dire que sa diffusion a muté en phénomène culturel n’est en rien exagéré. En seulement trois saisons, pour une cinquantaine d’épisodes, L’Attaque des Titans s’est imposé par la force. Les écrits d’Hajime Isayama, écoulés à des millions d’exemplaire sous format papier, font aujourd’hui trembler le paysage sériel japonais, où trônent Naruto, Dragon Ball Z ou encore le génialissime Death Note, le public épris des expéditions du bataillon d’exploration et ses membres supra-charismatiques, en proie à d’infâmes et gigantesques monstres rappelant le Saturne de Goya. Rattrapant progressivement le manga, se rapprochant inéluctablement de sa fin, Shingeki no Kyojin (de son vrai nom) entame sa quatrième et ultime saison avec une première partie pour le moins déstabilisante. Il n’aura guère fallu attendre pour que l’intrigue se joue de nos repères, trahissant astucieusement la formule routinière du shōnen pour mieux allaiter son armada de thématiques, et si les deuxième et troisième saisons terrassaient déjà le postulat – les gentils humains contre les méchants Titans –, la dernière prend un malin plaisir à trucider toute forme de manichéisme. L’adoption d’un angle inconnu, brouillant des frontières drastiquement dilatées par un flashback mirobolant, ne manque pas de dérégler notre perception du jeu cruel auquel s’adonnent nos chers héros (en sont-ils vraiment ?) et offre une seconde lecture aux débuts perturbés d’Eren, Mikasa et Armin via l’éclosion d’un nouvel attroupement de chérubins. À hauteur d’enfant, l’intrigue lorgne d’autres perspectives, élémentaires au déchiffrage des mécaniques pernicieuses mises en route depuis des millénaires. Que sont nos protagonistes, si ce n’est une bande de gamins souillés et aliénés, empoisonnés par les atrocités de leur monde ? Pour en réchapper, Isayama incite à enjamber le mur de l’endoctrinement et du dogme, endiguer le démon en chacun de nous, avant qu’il ne soit trop tard. Grandir, alors.
Les proportions gargantuesques atteintes par le récit, entre-temps passé par la case du coup d’État et du conflit mondial, font inévitablement se gonfler les enjeux. Loin est l’époque où la série se terrait sous les stéréotypes (Eren en sauveur miraculeux, par exemple), juste avant de les éviscérer. L’Attaque des Titans n’est pas tant l’histoire d’un garçon revanchard que celle d’une humanité incapable de supplanter sa terreur de l’inconnu. Facilité par les locutions et les costumes, les discours et l’architecture, le reflet de notre propre histoire fracasse la porte. Toutefois, bien que l’échiquier s’élargisse, que la pyrotechnie se veut plus immersive, brutale et apocalyptique que jamais – l’animation de la maison MAPPA, remplaçante de Wit Studio, est une bénédiction –, le programme n’en oublie pas de garnir ses personnages, pièces d’une mythologie qui les dépasse. Les transitions épisodiques entre deux cataclysmes, que l’on jugerait hâtivement plus légères (car chapitres de remplissage), s’illustrent comme de terribles coups d’éclat dramaturgiques. Refoulant les détonations usuelles, l’ultime saison épluche ses individus par une voie rondement intime. Renversante, car peu banale quand la conclusion est imminente, la stratégie est fructueuse : le spectateur, à l’image de ceux qu’il observe, est fauché par la tactique.
La charge de la culpabilité, de la responsabilité et de l’ambition se ressent dans l’alternance des points de vue, traduite en un doute qui hante les acteurs d’aujourd’hui. Affranchis des figures parentales et hiérarchiques, abandonnés à leurs idéaux fanés, les nouveaux décideurs – dont la fraternité Jaeger, aux tribulations déroutantes et nébuleuses – sont poussés à repenser morale et libertés, à refaçonner à leur guise, entériner ou démanteler la spirale de la haine. Cette extraordinaire épopée, célébrée (à raison) pour son sadisme et sa justesse, n’a pas fini de bombarder nos points d’accroche, sacrifiant tout ce qu’il est possible de sacrifier dans le but d’abreuver son propos, nettement pessimiste. L’attente pour la seconde fournée d’épisodes, officialisée pour l’hiver 2022, s’annonce tout aussi cruelle.