Prey, chasseur sachant chasser [Critique]

La saga Predator se suffit amplement d’une jungle et d’un extraterrestre. Dan Trachtenberg retourne à l’essentiel et fait de Prey une épopée ultra-intense. La meilleure des suites.
En 1719, la jeune Naru, une Comanche, désire devenir une guerrière mais les traditions de son peuple l’en empêchent. Elle se fait un devoir de protéger sa tribu lorsqu’un danger la menace : un prédateur extraterrestre surarmé.
Parce que quelques-uns à Hollywood se sont convaincus qu’il y avait plus à raconter avec la franchise Predator qu’une chasse à l’homme impliquant un Schwarzenegger badigeonné et une jungle touffue, d’autres que John McTiernan se sont penchés sur le cas de l’alien à dreadlocks. L’affreuse bête fut baladée à Los Angeles sous un jour caniculaire, croisa la route d’un xénomorphe dans un crossover dirigé par Paul W. S. Anderson (le tâcheron derrière les adaptations cinématographiques de Resident Evil) puis fut ramenée chez elle par le producteur Robert Rodriguez, avant d’être envoyée à l’abattoir, une fois encore, dans le daubesque The Predator. Quatre ans après cet énième malmenage, pourtant scénarisé par Shane Black (l’un des vétérans du premier opus), la saga tombe dans les mains de Dan Trachtenberg, le réalisateur malin de 10 Cloverfield Lane. Un miracle, pourrait-on dire, puisque son film est non seulement la plus attrayantes des suites offertes au classique de 1987, mais aussi un survival trépidant qui s’applique à reproduire la recette payante de McTiernan. Prey se réduit donc au minimum, pour le meilleur : une forêt dense, des peintures de guerre, un chasseur qui devient proie et un rythme d’enfer, et pas la seule ambition d’épaissir la mythologie de l’extraterrestre – ce qui a conduit les précédents volets à leur perte. Recentré sur les fondamentaux, le long-métrage use de chacune de ses cent (petites) minutes avec une rigueur effarante et se pare de ludisme, poussant le spectateur à régulièrement plisser les yeux pour discerner, dans les feuillages, la présence de la créature (ou son absence encore plus plombante). En d’autres termes, la sève du Predator originel. Le contexte historique dans lequel se développe le récit, écrasant sans même qu’on lui ajoute un visiteur venu d’ailleurs, ne nuit en rien à son efficacité. En remontant de trois siècles dans le temps, Dan Trachtenberg interchange les bérets verts par des Comanches, les mitraillettes par des arcs et des flèches. Le rapport de force est considérablement altéré. C’est également le choix de personnifier autrement la violence, qui ne dépend plus uniquement des échanges assassins entre le Predator et un groupuscule de soldats américains mais à une nation déchiquetée de l’intérieur. Le film en dit juste assez pour que le message politique sous-jacent renforce l’épopée éprouvante de Naru, sa protagoniste, sans prendre l’avantage sur la partie de massacre.
En amont, Prey raconte l’émancipation d’une jeune femme en contradiction avec les traditions de sa tribu. Une héroïne retorse qui préfère chasser avec les hommes plutôt que de rester sagement auprès des siens et qui perçoit dans la traque du monstre un moyen de prouver sa valeur. Incarné par une Amber Midthunder irréprochable (aperçue dans la série télévisée Legion), le personnage se frotte en permanence à un monde qui la rejette en bloc, à commencer par une nature hostile qui n’est pas sans lien avec celle de The Revenant – les deux films partagent une scène d’ours mémorable. Comme chez Iñárritu, le danger ne se limite pas à ce qui déambule. L’environnement est un obstacle en soi, la caméra l’expose nettement. Et si le réalisateur aime à nous faire tressaillir face à l’invisible, il se plaît de surcroît à composer des plans (extra-)larges sur les décors boisés, striés par les faisceaux d’un soleil à peine levée, surlignant la petitesse de son personnage principal et la magnificence d’une forêt en apparence préservée. Il pique aussi à son collègue mexicain ses plans-séquences bourrés d’action ou de suspens, ainsi qu’une certaine appétence pour la tripaille et les litres d’hémoglobine qui vont de paire. Sa version du Predator bat le record d’éventration à l’écran, puisque le long-métrage ne manque aucune occasion d’illustrer la coupe gore d’un membre. Ce sont des séquences complètes de boucherie qui rident cette suite fidèle et intelligente, exemplaire en matière de fan-service et capable – sa plus surprenante prouesse – de redonner foi en l’avenir de cette saga.