The Clone Wars (Saison 7), Star Wars recouvre sa grandeur [Critique]

Son annulation soudaine fut l’une des premières conséquences du rachat de Lucasfilm par Disney. Après avoir développé cinq saisons autour de la Guerre des clones, Dave Filoni et ses équipes durent péniblement fermer boutique et lâcher les personnages sacrés de Star Wars. The Clone Wars s’acheva sur une sixième salve d’épisodes écourtée, sans même pouvoir jouir d’une conclusion correcte… jusqu’à l’entrée en jeu de la plateforme Disney+.
Entamée trois ans plus tôt, le conflit opposant la République aux Séparatistes touche à son terme. Tandis que les Jedi mènent les combats aux quatre coins de la galaxie, l’ancienne padawan Ahsoka Tano doit cacher son passé, en espérant que celui-ci ne la rattrape.
L’arrivée en grande pompe de Disney+ est une aubaine : enfin, Dave Filoni est libre de boucler convenablement toutes ces histoires qu’ils avaient dû abréger – pour ne pas dire bâcler. De retour à bord, assagi par les années, le showrunner ravive une flamme que l’on croyait éteinte, disparue depuis le dernier film de George Lucas. Ce ne sont pas les blockbusters offerts par Disney qui feront dire le contraire. Il raccroche pour de bon sa série télévisée à La Revanche des Sith, et use de la simultanéité des événements pour faire naître une action dantesque, une émotion terrassante, faisant de l’ultime saison de The Clone Wars l’un des plus beaux, cruciaux et pertinents gestes de la saga. Une réussite quasi-totale.
Respectueuse des traditions, la septième saison se décompose en arcs distincts. De facto, les douze chapitres présentés se divisent en trois histoires. Des intrigues que l’on pourrait considérer dissociées, tant les tons divergent, mais qui dérivent d’une logique subtile – et fructueuse. Les péripéties d’une brigade infatigable, une affaire familiale orageuse et l’absolue désillusion : voilà les sujets qu’exploite Filoni, attaché à l’idée de raccorder ses scénarios à celui de l’Episode III, sorti dans les salles obscures en 2005. Les heures originelles de The Clone Wars étaient jonchées d’éclaircies, de légèretés, qui rendaient l’essai bancal et périlleux – imposer l’humour dans un contexte obscur, l’intention est discutable. Une faille à laquelle le spectateur ne se heurte plus, le programme délaissant ses écarts comiques au profit d’accents essentiellement dramatiques.
Les huit premiers épisodes sont radicalement moins poignants et graves que ceux servant la conclusion. Le périple de l’escouade Bad Batch – bataillon hors norme de clones – et les altercations sororales des Martez sont plus simples, décomplexés, s’autorisant des minutes de pur divertissement. Les rebondissements se succèdent frénétiquement, à l’image d’arcs anciens, désormais lointains. Toutefois, bien que la teneur de ces événements puissent paraître inconsistante, ces actes dessinent un tremplin robuste pour le suivant. En plaçant les soldats éponymes aux prémices de la saison, The Clone Wars rétablit ostensiblement le statut primordial de l’armée républicaine, elle qui causera l’avènement et la chute, la victoire et la défaite. La position de Rafa et Trace Martez, certes disproportionnée, étaye la vision du peuple, détaille les bas-fonds pour mieux décrire l’aura corrompue des Chevaliers Jedi. Ces chapitres, assurément imparfaits, ont le mérite de reconstituer l’échiquier. Pour mieux le renverser.

Promesse tenue, la série se joint à La Revanche des Sith, couvrant ses répercussions tragiques via un point de vue inédit. Qui de mieux placé que l’apprentie Ahsoka Tano, mascotte du show, héroïne des plus grands moments, pour retranscrire le carnage de l’Ordre 66 ? Avant cet épouvantable renversement, The Clone Wars illustre le siège de Mandalore, fabuleuse bataille visant à déloger l’immortel et culte Maul. Une éloquente démonstration de force, durant laquelle le programme télévisé accumule les séquences épiques et démesurées, prouvant par la même occasion les progrès certains de l’animation. Le spectacle est d’autant plus percutant qu’il attise une poésie au cœur du chaos, un lyrisme parmi les décombres et les explosions en plein ciel. L’ensemble atteint son paroxysme lors d’un duel homérique entre Jedi et Sith qui, non content d’accentuer une symbolique frappante, jouit d’une mise en scène diablement inspirée. Une prouesse qui n’est égalée qu’à l’heure du final, un basculement inéluctable.
La série use de sa corrélation avec l’Episode III comme d’une arme redoutable, y piochant allégrement sa tension dramatique et l’émotion sous-jacente. Cependant, Filoni ne se contente d’être porté par le dernier long-métrage de Lucas : sur le modèle des saisons précédentes, il agrémente la saga filmique, la densifie, la sublime. Quinze ans après sa diffusion dans les cinémas du monde entier, l’éclosion de l’Empire n’a rien perdu de son tragique et nourrit, d’un autre angle, l’impuissance du public face à l’inévitable. Le point de vue original complexifie la chute, qui ne s’exprime plus comme un retournement succinct mais comme une tragédie accomplie. Les rapports qu’entretiennent les protagonistes – et l’importance accordée aux soldats clones, ici bourreaux – brise le manichéisme inhérent à Star Wars, faisant de tous ces acteurs (à l’exception de l’impitoyable Palpatine) les victimes de cette cruelle machination. Le souvenir des précédents épisodes, voués aux armures blanches et droïdes auxiliaires, prend une teinte amère.
L’articulation s’étend également au visuel, où l’effort photographique se perçoit considérablement, et plus que jamais. Le choix du format cinémascope se maintient, ratio demeurant exceptionnel sur petit écran, au travers duquel les équipes de Dave Filoni insufflent une dynamique effrénée à des images spectaculaires. La moindre chorégraphie est étudiée, échafaudée dans l’optique d’embrasser une fluidité totale, rendue majestueuse par la réalisation appliquée. Naturellement, la direction artistique est vectrice de cadres et éclairages faramineux, que seul l’univers exotique et noble de Star Wars peut générer. Gargantuesque, sans défier la cohérence et côtoyer l’absurde, l’action additionne les arguments favorables – de quoi faire pâlir le dernier opus filmique –, garnie des rythmiques musicales de Kevin Kiner, loin de se limiter au travail de l’éminent John Williams. La prouesse technique n’a d’égale que l’amertume des adieux, tapissés de cendres et remords.
L’ultime saison fut motivée par une idée : contenter les aficionados de la série, les déçus (à juste titre) de l’annulation. The Clone Wars transpire l’intention de tous ses pores, dépassant son statut conclusif pour incarner l’hommage, et ressusciter les vibrations déchirantes de la prélogie Star Wars. Une réussite à bien des égards, preuve authentique que Lucasfilm n’est guère à l’agonie. Producteur (et réalisateur) de l’autre événement télévisuel, intitulé The Mandalorian, Dave Filoni prolongera l’expérience à l’automne prochain, date qui intégrera son personnage chéri aux frasques du chasseur de primes. Rien ne sert de pleurer Ahsoka Tano, donc. De futures péripéties l’attendent déjà.