Birds of Prey, émancipation d’une (anti-)héroïne [Critique]

La multitude de prix remportés par Joker et son triomphe au box-office n’ont guère altéré les plans de Warner Bros, décidé à maintenir le cap pour son univers cinématographique DC. Birds of Prey, huitième opus du projet et premier consacré à la chérie du Joker, débarque donc dans les salles un an après les vagues d’Aquaman.
Séparée de son gangster adoré, Harley Quinn décide de prendre irrémédiablement son indépendance. Elle se retrouve malgré elle dans le viseur de Black Mask – ennemi de Batman – et n’a d’autre choix que de s’allier avec trois femmes, toutes liées à cet antagoniste.
Deux mois avant la sortie de Suicide Squad et son échec critique cinglant, Warner Bros annonçait pléthore de productions basées sur le personnage d’Harley Quinn, parmi lesquelles Gotham City Sirens et Birds of Prey. Si la première, confiée à David Ayer, fut tout bonnement annulée, la seconde se concrétise aujourd’hui, sans nul doute grâce à l’implication peu commune de Margot Robbie. Budget moindre en comparaison des autres blockbusters du genre, tournure féministe et direction artistique loufoque : c’est ainsi que se présente cette nouvelle aventure de l’ex-fiancée du Joker, digne de son humeur explosive. Le long-métrage se veut festif, rafraichissant, volontairement décousu, pour un festival comique loin d’être aussi malin qu’il voudrait nous le faire croire mais suffisamment entraînant pour échapper à la catastrophe.
Prochainement rebooté par James Gunn (à qui l’on doit Les Gardiens de la Galaxie), Suicide Squad tient finalement sa suite. Birds of Prey ne renie pas ses origines, et tente encore moins le soft-reboot. Bien au contraire, le film s’assume comme un héritier à part entière du boulot de David Ayer, moins entaché par une production chaotique et s’autorisant à divaguer, à l’instar des comic books dédiés au personnage. Les références pleuvent, mais elles tiennent davantage ici de l’image subliminale que de l’arc narratif. Le spin-off conserve la verve insolente et dévergondée, le caractère démonstratif (par instant excessif) des monstres de Gotham et sa propension à se doter de visuels aussi improbables qu’affriolants. Birds of Prey, comme son désagréable prédécesseur, se livre à des expérimentations esthétiques, osées et ringardes pour la majorité d’entre elles, en adéquation avec l’élan frivole de Harley. Animation crayonnée, séquences oniriques et écriteaux multicolores ponctuent le récit, surlignant les interactions fantasques du personnage et son environnement. Il pourrait s’agir-là d’une prouesse : parvenir à extirper des décombres une énergie récréative, et en faire l’essence d’une suite. Mais Cathy Yan, réalisatrice du projet, n’a pas seulement repéché les bons côtés du film d’Ayer. À commencer par une gestion musicale laborieuse, laissant supposer (comme Suicide Squad en son temps) que Birds of Prey n’est qu’une succession de clips musicaux.

S’il eut été facile de comparer Birds of Prey avec les nouveaux référents du film d’équipe super-héroïque que sont Avengers et Justice League, le long-métrage de Cathy Yan se situe en réalité bien plus du côté d’Heroic Trio, long-métrage fumé et lui aussi collectif, qui réunissait trois reines du cinéma d’action chinois sous la caméra de Johnnie To. La mise en scène de Cathy Yan est indubitablement moins stupéfiante que celle du maître To, mais la réalisatrice semble vouloir en reproduire les digressions fantaisistes et les chorégraphies impressionnantes. Son blockbuster se démarque surtout du film de 1993 par son choix de narration comique, confiant les pleins pouvoirs à l’ex-assistante du Joker. Fatalement, celle-ci prend davantage de place que ses compères et la dynamique de groupe s’en retrouve enrayée. Harley Quinn est ici la seule dont le développement est mesurable, son émancipation étant un objet de premier plan. Les autres se contentent de courtes scènes pour exister en attendant le fameux combat final.
Cathy Yan exploite pleinement la position de narratrice qu’occupe Harley Quinn. Prenant à partie le spectateur régulièrement (elle singe Deadpool et son verbe irrévérencieux), l’héroïne agrémente son aventure de commentaires piquants et n’hésite pas à mettre en pause l’intrigue pour étoffer un détail ou construire une blague. Quinn est la maîtresse du script, le reflet amusant d’une Margot Robbie qui a bataillé pour que le film voit le jour – elle en est productrice. Ses pensées farfelues prennent vie à l’écran ainsi que ses ressentis. Si elle s’enivre, l’objectif de Yan s’agite, capte les idioties théâtrales qui se jouent dans la tête de Harley, confortant l’idée que le film se déroule bel et bien à l’intérieur de celle-ci. Cela ne sert pas seulement le pan humoristique du long-métrage : le point de vue permet à Birds of Prey d’arborer fièrement ses attributs féministes. Et quoi de plus probant qu’une histoire vécue et narrée par une femme ? Il arrive couramment au film de traiter le sujet avec balourdise, sans tomber dans un ridicule incommodant, mais sa justesse tient essentiellement de ce qu’il tire des détails, parfois plus parlants que la situation globale.
L’intrigue, pure chasse au McGuffin, s’étend dans un véritable univers de comics où chaque coin de rue est l’occasion d’une vilaine surprise, d’une rencontre malvenue et d’une poursuite endiablée – le tout étant intentionnellement décousu, du fait de la narration particulière. Cathy Yan confère à Gotham, la cité mythique de Batman, une atmosphère joviale, quasi-cartoonesque. Épaulée par les équipes de cascades de John Wick, offrant à Birds of Prey des affrontements ludiques, Yan s’évertue à rendre l’action lisible et ce malgré des décors alambiqués et jonchés d’irrégularités en tout genre. L’on y suit sans peine les acrobaties fulgurantes de Harley Quinn, sublimées par le travail du chef opérateur Matthew Libatique. À son final, l’ensemble manque d’un soupçon d’inventivité, ratant l’opportunité de rendre ses héroïnes iconiques. Une maladresse aisément compensée par la fougue du casting. Naufrage évité pour Birds of Prey, donc. Cathy Yan, première réalisatrice asiatique à la tête d’un tel mastodonte, est parvenue à composer avec le précédent volet, aussi gangrené soit-il, érigeant Harley Quinn comme l’une des mascottes valorisantes de l’univers DC. Suffisant pour faire de l’ombre à Marvel et ses flamboyants Avengers ? Pas vraiment, mais le résultat est encourageant. Prochaine étape, Wonder Woman 1984, prévue pour juin. Vous reprendrez bien un peu de girl power ?