2010-2019 : les meilleurs films de la décennie [TOP]

Que retenir de ces dix (belles) années de cinéma ?
Retour sur la séquence 2010-2019. Au programme : de la science-fiction dépressive, de l’animation métaphysique, des élans nostalgiques, des cœurs en miettes, des familles (dés)unies, de futurs grands, d’autres qui le sont déjà.
Mentions honorables :
- The Social Network (David Fincher)
- Le Vent se lève (Hayao Miyazaki)
- Mud : Sur les rives du Mississippi (Jeff Nichols)
- It Follows (David Robert Mitchell)
- The Revenant (Alejandro González Iñárritu)
- Mademoiselle (Park Chan-wook)
- Logan (James Mangold)
- Dunkerque (Christopher Nolan)
- Vice-Versa (Pete Docter)
- Burning (Lee Chang-dong)
Toy Story 3 (2010)

Dix ans après la sortie du second volet en salles obscures, les studios Pixar rempilent et offrent à la licence Toy Story une conclusion (temporaire) aux péripéties de Woody, Buzz et la troupe du coffre à jouets. Aussi riche que ses prédécesseurs, plus émouvant et photographique, Toy Story 3 prolonge le corpus thématique de la saga en mettant l’accent sur le temps qui passe et le besoin de transmettre. Le film remporte l’Oscar du meilleur film d’animation en 2011 : le sacre pour Pixar, qui signe son chef d’œuvre absolu.
Inception (2010)

Entre deux sessions super-héroïques du côté de Gotham, Christopher Nolan s’octroie une parenthèse personnelle. L’année 2010 sera celle d’Inception, un projet dans les tiroirs depuis une décennie qui répertorie les obsessions thématiques de son auteur et le principe d’exploration onirique directement hérité du Paprika de Satoshi Kon. Autour d’une histoire de deuil, Nolan déploie une imagerie faite de paradoxes pour un spectacle voulu étourdissant, exploit permis grâce à un savoir-faire né de ses précédents travaux. Inception se positionne ainsi comme le blockbuster ultime et ludique des années 2010.
J’ai rencontré le Diable (2011)

D’une radicalité à faire pâlir le Seven de David Fincher, d’une violence innommable et transcrite sans pincettes, J’ai rencontré le Diable examine le massacre d’un œil cathartique, une façon comme une autre de panser les plaies – voie lorgnée par un revanchard jusqu’auboutiste résolu à faire payer le tueur en série ayant assassiné sa petite-amie. Mais le Diable se combat-il par le feu ? Kim Jee-woon, aux manettes de son long-métrage le plus ténébreux et grinçant, joue à contre-courant, sonde un mal contagieux et certifie la toute-puissance du cinéma coréen. Folie furieuse, souffrance extrême.
The Tree of Life (2011)

En un geste de cinéma, Terrence Malick couple le quotidien d’une famille américaine moyenne et les extrémités de l’univers, la subtilité de l’existence et les récits de l’infiniment grand. The Tree of Life se divise ainsi en proverbes métaphysiques, en maladresses et hasards, en panoramas étoilés semblables à des peintures abstraites, et en errances, surtout. Un film-monde qui scinde en deux la carrière du réalisateur, jusque-là peu prolifique (quatre longs-métrages en quarante ans) et qui depuis expérimente en déconstruisant la narration et le temps, en réfléchissant la place de chaque chose dans le cosmos.
Drive (2011)

Cascades automobiles, braquage, courses-poursuites, romance impossible : son synopsis en ferait un parfait spin-off à la saga Fast & Furious, mais Drive porte une mélancolie qui ferait mourir de jalousie l’égocentrique Vin Diesel. Nicolas Winding Refn troque ici l’action facile pour une émotion brute, amplifiée par les éclairages nocturnes de Los Angeles, une mise en scène chiadée et une bande originale électro-nostalgique. Son héros mutique, similaire au Samouraï de Jean-Pierre Melville, est l’une des représentations du justicier les plus modernes et sensibles qui soient.
Inside Llewyn Davis (2013)

Les frères Coen s’évertuent à ériger les perdants et marginaux (parfois les deux à la fois) en héros de leurs créations, morceaux de vie oscillant entre délire passionnel et épopée de l’échec. C’est dans cette deuxième catégorie que s’exerce Llewyn Davis, chanteur talentueux, intègre, à qui la chance ne rend que peu visite. Ses tribulations dramatiques – non moins dénuées d’absurde – forment un séjour à l’habillage mélancolique, tableau éthéré du New-York d’antan où déambule les échoués magnifiques, voués à l’errance et l’anonymat.
Le Loup de Wall Street (2013)

Martin Scorsese n’en est pas à son coup d’essai avec les fresques criminelles lorsqu’il adapte l’histoire folle (mais vraie) de Jordan Belfort, courtier américain réputé pour avoir secouer le quartier des affaires new-yorkais. Sixième collaboration entre le metteur en scène et Leonardo DiCaprio, Le Loup de Wall Street est une chronique acide, une spirale décadente, jouissive et percutante, que Scorsese sublime d’une mise en scène survoltée. Le casting prend des airs de meute délurée, offrant au film une sacrée dynamique, de son chef ambitieux (DiCaprio dans son meilleur costume) aux délicieux seconds rôles – Matthew McConaughey et sa fameuse scène, inoubliable.
Gone Girl (2014)

Dernier film avant le (long) virage de son réalisateur vers la plateforme Netflix, Gone Girl a tout du thriller fincherien par excellence – terne, satyrique et malin. Dénonciation de l’hypocrisie des médias, de l’importance des apparences, portrait cynique du mariage : l’ingéniosité du film ne se limite pas à la densité de son propos, mais également à la précision chirurgicale de David Fincher, derrière la caméra. Le script viscéralement déroutant, confié à Gillian Flynn (à qui l’on doit le roman original), embringue le spectateur dans ce bal des faux-semblants, manipulé tel un pantin.
Only Lovers Left Alive (2014)

Derrière le lyrisme de son titre, Only Lovers Left Alive cache une réflexion envoûtante, chaude et spleenétique sur l’évolution de l’art à travers les siècles. Pour se faire, le long-métrage de Jim Jarmusch emploie deux vampires mélomanes, deux êtres immortels et amoureux, au teint blafard et aux canines longues. Une paire d’âmes sur laquelle le temps n’a plus d’emprise, nourris au sang humain – auxquels ces créatures de la nuit ne s’identifient plus – et qui profitent de l’éternité pour gratter mille cordes, jouer de toutes les langues et apprendre à s’aimer. Le récit poétique d’Adam et Eve, les premiers et derniers, hédonistes pour toujours.
Mommy (2014)

Ce n’est pas la première fois que Xavier Dolan se fait remarquer au Festival de Cannes, lorsqu’il foule le tapis rouge en 2014. Ce n’est pas non plus la première fois qu’il se penche sur le cas d’une relation maternelle compliquée. C’est toutefois avec cet essai qu’il obtiendra l’un des prestigieux prix de la cérémonie et qu’il confirmera ses talents de jeune prodige. Mommy hérite de son auteur son caractère généreux, son excessivité, sa grande sensibilité, sa forme étudiée. En emprisonnant une mère et son fils par le cadre, sorte de camisole par l’image, le réalisateur québécois contient ses obsessions puis les recrache, en même temps que l’émotion, dans un sublime acte de cinéma.
Whiplash (2014)

Adaptation de son court-métrage homonyme, Whiplash fut le film de la révélation pour le réalisateur franco-américain Damien Chazelle. Féru de jazz et de comédies musicales – auxquelles il rendra un hommage encore plus frontal quelques années plus tard –, il fait se fondre son et image, rythme et cadre, le tout sans perdre de vue l’opposition intense d’un chef d’orchestre sadique et de son élève déterminé. Oscar du meilleur montage, Whiplash permettra à J. K. Simmons, ici dans un de ses rôles les plus mémorables, d’obtenir la statuette du meilleur acteur dans un second rôle. Un titre amplement mérité.
The Grand Budapest Hotel (2014)

Le cinéma de Wes Anderson est un cinéma de minutie, de couleurs, de désaxés, dépressifs et d’innocents qui refusent de se l’avouer, et jamais la rigueur du cinéaste ni son amour pour ses marionnettes ne fut aussi probant qu’au Grand Budapest Hotel. Récréation pharaonique gorgée d’ingéniosité, cette gigantesque pièce d’orfèvrerie s’amuse des lignes et formats, fait défiler sa distribution luxueuse avec panache, puis veille à scrupuleusement disposer l’ensemble avec un montage curieusement inspiré. L’œuvre somme d’une filmographie millimétrée, pour le moins unique, qui renouvelle son intrigue par l’absurde et se pose en hommage émouvant à l’art de mettre en scène.
Her (2014)

Si la science-fiction a (très) souvent fait se bagarrer l’homme et la machine, Spike Jonze opte pour une représentation plus réaliste, sociale et sensible du rapport entre l’organique et la ferraille : son héros, un type isolé et brisé par son divorce, tombe amoureux d’un programme informatique. Tel est le point de départ de Her, poème d’anticipation glissé dans un charmant écrin pastel, où Joaquin Phoenix (face à son meilleur rôle) s’éprend de la voix envoutante de Scarlett Johansson – qui, invisible, témoigne d’un immense talent. Jonze évoque une solitude commune et devance la dérive de la société contemporaine, dominée par le numérique et les codes. Et sa lucidité frappe en plein cœur.
Interstellar (2014)

Dans Interstellar, Christopher Nolan rend hommage aux films de science-fiction qui ont bercé son enfance. Par réminiscence, il ressuscite le 2001 de Kubrick, Solaris et même La Guerre des étoiles. Le cinéaste perpétue également sa quête de réalisme, fondant sa fiction sur les travaux du physicien Kip Thorne pour que sa représentation des astres, trous noirs et autres phénomènes spatiaux soit la plus vérace. Mais surtout, Nolan joint à ce périple (visant à sauver les restes de l’humanité) la couche émotionnelle qui lui manquait jusqu’alors. Son odyssée de l’espace se mesure à deux échelles : celles des étoiles, leur beauté infinie imprimée par une caméra IMAX, et celle du père, hanté par son amour inaltérable de parent. Le plus universel des sentiments.
Mad Max : Fury Road (2015)

Un aller-retour dans le désert, comprenant bien quelques cascades, et George Miller envoie balader dix (voire vingt) ans de productions hollywoodiennes. L’on pourrait résumer Fury Road (quatrième opus et semi-reboot de la saga Mad Max) à ce simple constat, mais ce serait manquer d’évoquer la puissance de cet opus inespéré, survenu à l’heure d’une aseptisation de masse et pourtant bourré de créativité, de matières et de démence. Le cinéaste australien épure sa narration au maximum pour mieux revoir la mythologie de son univers et fait converger tous les paramètres dans le bon sens : trucages numériques impressionnants, pirouettes automobiles concrètes, mise en scène explosive et bande-son tapageuse. Le vrai Fast & Furious est un chef d’œuvre brutal, caniculaire et anarchique.
Premier Contact (2016)

Douze vaisseaux extraterrestres atterrissent aux quatre coins du globe. Point d’invasion destructrice ou de batailles intergalactiques chez Villeneuve, plus proche de Rencontres du troisième type que de La Guerre des mondes. Le combat qui se joue via Premier Contact est celui pour la communication. Décrypter le langage de deux aliens, similaires à de gigantesques tâches de Rorschach, cristallise les enjeux de cette perle de science-fiction, piqûre de rappel quant à la beauté et l’essentialité de l’échange, avec soi, l’inconnu ou ses pairs. Nouant brillamment socio-politique et humanisme, le réalisateur canadien – épaulé d’une extraordinaire Amy Adams – nous renvoie à nos fondements.
La Tortue Rouge (2016)

Affaire d’épure et de métaphores, contours de cette relecture du roman de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, La Tortue Rouge se consacre à l’essentialité. Co-produit par les studios Ghibli, alors ébahis par les courts travaux de Michael Dudok de Wit, le long-métrage d’animation renvoie le cinéma à sa fonction originelle. Le septième art est, avant tout, celui qui fait parler les images. Dispensé de dialogue, tenu à une narration rigoureusement graphique, La Tortue Rouge conte l’existence et son universalité, une étude d’ordre biblique, ode à l’humanité en osmose avec son foyer naturel.
The Lost City of Z (2017)

Fini la métropole et ses tours grises, James Gray braque sa caméra sur la jungle verdoyante de l’Amazonie. Un changement de décors radical qui n’entrave pas les thèmes chéris par le metteur en scène, piochant ici dans la biographie de Percival Harrison Fawcett, éminent explorateur du XXe siècle. Assoiffé de liberté, père en fuite, obsédé par les torrents indomptables du fleuve et ses joyaux dissimulés, le protagoniste comporte les caractéristiques substantielles du héros comme Gray le conçoit, réceptacle parfait pour ses récurrences scénaristiques, sublimées par les lianes abondantes de la forêt tropicale.
A Ghost Story (2017)

Un grincement, un drap blanc à taille humaine, deux trous percés rudimentairement pour y faire naître un visage. Certains y verraient l’épouvante dans sa forme la plus noble, mais David Lowery choisit d’interroger les symboles plutôt que de s’en servir bêtement. Il traite le fantôme comme une question ouverte : que se cache-t-il sous cette toile qui erre, au gré de vies qui défilent sans attendre ? Un défunt mari, un homme ou bien un souvenir ambulant ? A Ghost Story est à l’image de son protagoniste, mutique, gracieux et d’une sobriété absolue. Un geste délicat et minutieux de cinéma fantastique, régi par une simplicité désarmante qui fait toute sa poésie et son merveilleux.
Blade Runner 2049 (2017)

Ce siècle a témoigné de sa passion pour la résurgence d’objets cultes, tels Evil Dead, Ghostbusters ou encore Mad Max. À l’instar de Prometheus, que Ridley Scott agença de son propre chef, un autre de ses univers s’est élargi récemment, cette fois sous la caméra du prodige Denis Villeneuve. Blade Runner 2049, que peu avaient vu venir, place son intrigue trente ans après celle de l’opus originel, reprenant son ambiance futuriste crasse, ses variations cyberpunk et ses traitements métaphysiques de ce qui fait l’humanité. Le blockbuster affiche comme son ainé une plastique ébouriffante, dû au travail d’orfèvre de Roger Deakins, et creuse un peu plus la frontière entre l’homme et l’androïde. De la science-fiction pour (très) grand écran.
La La Land (2017)

Cité des anges, capitale des rêveurs : dans la comédie musicale La La Land, Los Angeles est le repère de jeunes artistes ambitieux courant après le rêve hollywoodien. Damien Chazelle infiltre le lieu avec ses partitions sous le bras et rédige une merveilleuse lettre d’amour au septième art, à ceux qui se battent pour intégrer cette grande machine, sans éluder l’amertume des désillusions et leur influence sur la vie privée. Une envolée mélodique, foudroyante d’émotions, techniquement exceptionnelle et qui converse directement avec le cinéma de Jacques Demy, compensation réconfortante pour un long-métrage plus tragique qu’on pourrait le croire.
Une affaire de famille (2018)

Une affaire de famille s’ouvre sur une séquence de vol à l’étalage qui en dit long : un père et son fils dévalisent discrètement un supermarché et ramènent leur butin chez eux, dans une minuscule maison où s’entassent les gens, leurs méfaits et secrets. Tout est affaire d’illusion pour ce foyer rapiécé, qui récupère ses membres par hasard (dont une petite fille, l’un des points de bascule du scénario de Hirokazu Kore-Eda) et pense réchapper au monde du dessus, celui des taxes et des institutions. Jusqu’à ce que la bulle éclate lors du dernier acte, que fuitent ce qu’ils ont enfoui le plus profondément, clôturant un drame bouleversant de vérité. Palme d’or méritée.
Under The Silver Lake (2018)

Faisant suite à son expérimentation de l’effroi carpenterien, Under The Silver Lake voit David Robert Mitchell troquer la peur pour l’obsession, le minimalisme pour le sensationnel. Traque des codes à travers un Los Angeles sous canicule, le film se distinguerait presque comme l’anti-Ready Player One, témoin de l’impact de décennies de pop-culture sur les jeunes générations, lancées dans une quête existentielle et philosophique nourrie de symboles, icônes et influences. Un carrefour entre le climat sensoriel de Lynch, le mystère haletant d’Hitchock et le maniérisme esthétique de Refn.
Parasite (2019)

Passé la virée en train sur les rails de l’apocalypse et le pamphlet végan chez Netflix, Bong Joon-ho revient pour une nouvelle démonstration de force. Dans son viseur, une Corée fracturée socialement, économiquement, spirituellement. Il infiltre une maison bourgeoise, à l’instar de ses protagonistes, fait un brin de comédie, jusqu’à ce que l’écart entre le foyer du bas et celui du haut leur claque au visage. Huis-clos qui n’hésite pas à faire tomber ses quatre murs, Parasite est un exercice technique bluffant, vertical, via lequel le réalisateur fait preuve d’une maîtrise absolue de l’espace. Lauréat au dernier Festival de Cannes, le film semble parti pour compter dans l’histoire du cinéma sud-coréen. Un miracle.
Once Upon a Time… in Hollywood (2019)

Lors d’une scène de son Once Upon a Time… in Hollywood, peut-être sa plus formidable, Quentin Tarantino cadre dans un même plan l’assassin avéré de Sharon Tate et un personnage tout droit sorti de son imaginaire. Les deux types se font face, l’un tient une arme, l’autre se suffit de son doigt, hilare. C’est le choc des réalités, et toute la superbe du long-métrage qui perfore l’écran. L’histoire, celle des faits, se confronte au fantasme, à la vision fantasmagorique d’une époque révolue, d’un Hollywood disparu et de ses mythes qui ne prennent pas la poussière – du moins, dans la tête du metteur en scène. Le film porte bien son nom : un conte de cinéphiles pour cinéphiles, contemplatif et fantasmé, porté par un tandem de comédiens aussi magiques que le sourire candide de Tate face à ses propres exploits.
Vous pouvez retrouver la critique du film ici.